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REVUE DE PSYCHIATRIE

PHILOSOPHIE - PSYCHANALYSE

Daniel Sibony - Lecture

"Don de soi ou partage de soi. Le drame Lévinas".
vendredi 20 octobre 2000.
 
L’œuvre de l’introducteur en France avant Sartre de la philosophie de Heidegger, du phénoménologue qui n’a cessé après la guerre d’interroger les rapports entre Athènes et Jérusalem, du philosophe qui s’est toujours tenu à l’écart des modes intellectuelles et des discours ficelés qui faisaient recette et la gloire d’une certaine philosophie française depuis les années 60, est dans cet ouvrage disséquée selon un point de vue volontiers iconoclaste.

PHILOSOPHIE - PSYCHANALYSE

Daniel Sibony "Don de soi ou partage de soi. Le drame Lévinas". Odile Jacob, 2000.

Daniel
	Sibony - Don de soi ou partage de soi. Le drame Lévinas. Odile Jacob,
	2000. - Psythère / Commander ce livre L’œuvre de l’introducteur en France avant Sartre de la philosophie de Heidegger, du phénoménologue qui n’a cessé après la guerre d’interroger les rapports entre Athènes et Jérusalem, du philosophe qui s’est toujours tenu à l’écart des modes intellectuelles et des discours ficelés qui faisaient recette et la gloire d’une certaine philosophie française depuis les années 60, est dans cet ouvrage disséquée selon un point de vue volontiers iconoclaste. Peu de noms de penseurs contemporains sont à mettre au compte d’une réflexion aussi profonde sur l’éthique. On peut citer évidemment Paul Ricoeur, Hans Jonas parmi les plus éminents. Mais Lévinas incarne sans nul doute le philosophe de l’éthique. Peu de critiques jusqu’à présent avaient osé attaquer de front cette pensée exigeante, difficile. A. Badiou avait rabroué il y a peu, d’un trait de plume l’oeuvre d’un "moraliste"1. D’autres n’y ont vu qu’un disciple de Heidegger tombé au champ d’honneur d’une cause religieuse... On a parfois rapproché la conceptualisation du philosophe de la théorisation analytique : primauté de l’altérité, importance du tiers, statut princeps accordé au désir, rôle éminent accordé au langage... La déconstruction lévinassienne de l’ontologie et la critique de la déconstruction heideggerienne procédant de ce primat de l’Autre. Daniel Sibony dans son ouvrage revient frontalement sur ce qu’il entrevoit comme impasses radicales émanant de ce refus de penser l’Être(-Temps) à la mesure de ce qu’il est, de son infinition..., car d’emblée collabé sur la "grimace" du Moi et de son conatus égotiste. L’Être n’est pas le Moi, et l’Autre ne saurait s’appréhender d’un point de vue relevant en quelque sorte d’une christologie sacrificielle où l’oblativité de l’amour revêt une note superlative qui confine au psychopathologique. L’éthique "comme philosophie première" soutenue par Lévinas s’abîmerait de plus sur une impossibilité majeure : celle de la pratique, du droit, du politique. Faute de prendre en compte la dimension du symbolique, Lévinas s’enfermerait dans une éthique dont la radicalité n’a d’égal que le culte victimaire à outrance qui se dégagerait de ses textes... Piégage imaginaire ? Le travail de Sibony fournit une explicitation de ce qu’il appelle le "drame Lévinas", moyennant une prise en compte de l’histoire personnelle du philosophe, où la Shoah aussi bien que les démêlés avec le maître de la forêt noire, jouèrent un rôle déterminant. L’essai de Sibony se révèle convaincant à maints égards et constitue une critique de taille de la philosophie du disciple hérétique de Heidegger et de Mr Chouchani, l’autre maître du philosophe. Sa philosophie du sujet comme " otage de l’Autre ", exhiberait sous cet angle l’aspect de symptôme, ne parvenant ni à échapper à l’incompressible culpabilité inhérente au survivant, ni à élaborer ses démêlés complexes avec la figure paternelle du philosophe allemand. L’hypostase de l’Autre et la christologie négative qui en émane achopperait sur un paradoxe narcissique de taille. L’ego lévinassien révélerait par la même l’extension sous-jacente de ses propres boursouflures, de sa revendication à l’être, mais sous le régime de la dénégation. Faute de penser l’Etre dans sa dynamique et dans son ouverture radicale, sa part maudite, morbide, ferait en quelque sorte retour comme le refoulé dans la promotion de la transcendance de l’Autre. L’exploitation du thème de l’infini ne saurait en définitive offrir de solution à l’impasse présumée de la totalité et à l’abjection totalitaire, source de maints écrits de Lévinas. Daniel Sibony traque un à un tous les thèmes princeps du philosophe, selon une approche qui décrypte à l’aide d’interprétations psychopathologiques, l’intenable et l’outrance du Texte lévinassien. Sibony va jusqu’à exprimer l’idée que Heidegger sera resté plus près finalement du legs de la lettre hébraïque et du Livre2, que Lévinas lui-même et ce, malgré son retour aux Textes... Penser l’Autre sans l’Etre ne permettrait pas de fournir une éthique recevable, mais bien plutôt offrirait des gages de possibilités à l’emprise, et aux liens fondés sur une économie perverse. Cette pensée élaborée à partir d’une réflexion centrale sur les figures polymorphes de l’abject ne saurait servir de sauf-conduit pour une éthique à la mesure de ses propres exigences. A suivre...

Frank Bellaïche
10/00



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