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REVUE DE PSYCHIATRIE

PSYCHANALYSE

Mondialisation, Règlementation, et Psychanalyse

Plaidoyer pour la laienanalyse
lundi 16 janvier 2006.
 
Christian JEANCLAUDE Psychanalyste et essayiste, est l’auteur de « Freud et la question de l’angoisse » (2ème édition, 2002) et « Les ombres de l’angoisse (2005), collection Oxalis aux Editions De Boeck. Alors que l’intensité du débat sur la psychanalyse est toujours très vive dans un contexte où les mots d’ordre - évaluation, contrôle et réglementation - suscitent une certaine recomposition sur l’échiquier des groupes analytiques quant à ce que chacun d’eux se sent autorisé à négocier ou non avec l’Etat, Christian Jeanclaude soutient que la psychanalyse ne saurait pactiser avec le diable de la Règlementation, le risque étant à terme sa disparition ou son affadissement dans une pratique normative sinon sectaire.

FREUD écrivait à la fin de sa vie au sujet de sa création, je cite de mémoire : « J’ai bâti ce colosse sur un sol d’argile, et n’importe quel fou pourra venir le culbuter ».

Ce fou est-il là, sous nos yeux ? Ce fou est-il le même fou qui s’arroge le droit de tout savoir, de tout légiférer, de censurer ce qui ne viendrait pas le conforter dans sa folie ? Ce fou est, comme tous les fous, le dernier à admettre qu’il l’est (fou), pour mieux laisser libre-cours aux « frasques » de son inconscient entendu essentiellement comme défenses de tout ce qui donnerait à penser (donc à se séparer, à s’autonomiser, à devenir citoyen à part entière) et comme désir de détruire tout ce qui viendrait mettre en danger ses convictions entendues comme croyances non étayées (donc comme authentiques délires). Le « cauchemar climatisé » (Henri Miller) pour tout le monde (pour TOUT le monde) sauf quelques-uns (les quelques milliards d’humains des pays pauvres qui auront droit au cauchemar tout court) ? Horreur de l’exception française mal nommée d’ailleurs : ne s’agit-il pas plus simplement de quelques reliquats d’humanisme au sein de la mondialisation économique barbare ? Les derniers remparts de civilisation ?

Et voilà le fou désigné : la mondialisation économique ; le commerce mondial où tout se vend et tout s’achète y compris les êtres humains (chez nous aussi bien évidemment : que fait-on d’autre, par exemple, lorsque pour dégager des bénéfices, on jette à la rue des centaines, voire des milliers de salariés ?) Donc asservir toujours et encore les masses pour qu’elles consomment et nourrissent grassement ceux qui mentent le mieux. Donc la psychanalyse française se trouve embarquée dans une déferlante économico-mondialiste dont nos politiques se font les prosélytes.

Exemple de conviction répétée ad nauseam ; « n’importe qui peut mettre une plaque et exercer la psychanalyse ». Oui, en théorie, c’est exact. Mais dans les faits, combien d’irresponsables se permettraient une telle imposture ? ( J’entends en tant que psychanalyste indépendant) car il risque bien plus (j’entends du point de vue de son homéostasie psychique) que celui ou celle qui viendrait lui parler.

Ceux qui pourraient être « dangereux » (personnellement, je n’y crois pas dans la mesure où un sujet qui reste accotiné à un imposteur n’a aucun désir d’analyse mais d’autre chose qu’il trouve puisqu’il reste et il n’est pas dit qu’il n’y trouve pas son compte), ils sont totalement repérables ; il suffit de noter leurs appartenances qu’ils revendiquent même parfois fièrement sur leur plaque (sociétés analytiques bidons qui les garantissent dans leur pratique d’escroc). De plus, pas fous du tout ceux-là (mais plutôt pervers), ils prennent souvent soin de suivre une formation de psychologue clinicien selon la norme (le fameux DESS de Psycho clinique ou Psychopatho à la clef... et pas un autre s’il vous plaît !) quand ils ne sont pas carrément médecins ou psychiatres. Donc le diplôme non seulement ne garantit rien du point de vue de la pratique analytique mais de plus, il permet éventuellement chez quelqu’un de malhonnête de pratiquer en tant que charlatan de la psychanalyse en toute impunité.

Jamais la nouvelle loi de 2004 ne permettra d’encadrer quoique ce soit de l’exercice de la psychanalyse, ni de garantir la compétence d’un psychanalyste. Seul les analysants peuvent en dire quelque chose. La psychanalyse n’est pas un savoir technique ni d’ingénieur (ce que la médecine est aujourd’hui devenue, à savoir une science de l’ingénieur [position à la limite défendable pour la médecine organique mais totalement insensée pour la médecine psychiatrique ] et ce que devient la psychologie essentiellement psychométrie normative) mais une longue et patiente entreprise d’écoute de la souffrance psychique uniquement possible, supportable et bénéfique si le praticien a lui-même mis à plat sa propre souffrance auprès de son psychanalyste. C’est autre chose que de passer 5 ans, 10 ans, voire très souvent plus encore, sur un divan pour que se dégage un désir d’être analyste et éventuellement « s’autoriser » à l’acte analytique que de faire une course aux partiels à la faculté. Quel rapport entre ces deux démarches ? Aucune. Bien plus d’ailleurs : tout psychanalyste doit d’abord désapprendre (se déprendre) de sa formation universitaire (de tout système fermé aliénant) s’il veut espérer entendre quelque chose de ses analysants à moins de se contenter d’être un de ces praticiens qui confondent neutralité avec m’en-foutisme et mépris de la personne (on peut passer sa vie à dormir content et gavé une fois pour toute de son savoir universitaire). Jamais cette loi (rappel : Article 52 de la Loi de santé publique) ne permettra de mettre de l’ordre chez les psychologues et les psychiatres qui jouent aux psychanalystes sans avoir acquis une parcelle de connaissance sur leur propre inconscient (autrement dit qui n’ont jamais été sur un divan) en se cachant derrière la respectabilité de leur diplôme ! Ni d’ailleurs chez ceux qui exerceraient sans diplômes universitaires (un voyant ou un rebouteux peut très s’autoproclamer psychanalyste !) ! Les censeurs bons samaritains (samaritains car se référant à une éthique de protection des « malades ») peuvent-ils concevoir un instant le parcours du psychanalyste ? Comment peuvent-ils alors imaginer que ce psychanalyste pourra être dépourvu d’un sens éthique auquel doit se substituer une parole de père-fouettard dont l’Etat serait le représentant ? Freud, après les cafouillages du début où les gens exerçaient sans avoir suivi une analyse (Freud lui-même d’ailleurs et il n’est pas sûr, justement, qu’il ait été un bon analyste), fut toujours parfaitement clair à ce sujet : suivre une cure analytique est la condition INDISPENSABLE pour devenir analyste TOTALEMENT INDEPENDAMMENT de la formation initiale (Sachs était avocat, Pfister était pasteur, sa propre fille Anna institutrice, Melanie Klein sans cursus universitaire achevé, Aichhorn était éducateur, Reik fit des études de littérature, Roheim était anthropologue, etc.). La psychanalyse française, grâce au sang neuf apporté par Lacan il faut le dire, peut s’enorgueillir de n’avoir pas trahie les fondements mêmes de l’enseignement freudien, à savoir que les psychanalystes de toutes origines se côtoyaient il y a encore peu de temps (dire dans l’harmonie serait mentir mais avant tout cette panique littéralement créée de toute pièce par des politiciens qui en font leur fond de commerce [la peur], la cohabitation existait enfin après des querelles incessantes et affligeantes depuis de longues années).

Notons tout de même que la plupart des psychanalystes les plus pertinents actuellement en France ne sont NI psychiatres, NI psychologues, et que ceux qui sont psychiatres (les plus pertinents je répète ; les plus discrets aussi) n’y attachent, semble-t-il, que très peu d’importance (Jean Laplanche comme psychiatre, Jean Bergeret comme médecin, etc). Il y a quelques années, un candidat à une psychanalyse se moquait éperdument de l’origine universitaire du psychanalyste qu’il allait choisir, voire plus que cela... il pouvait régner une certaine méfiance à l’égard des psychiatres-psychanalystes.

La nouvelle loi va tout dévaster et ne rien résoudre quant au problème du charlatanisme. Ne permettra aucunement de lutter contre les sectes et le psy-business en toc d’autant que les « praticiens » de ces mouvances qui promettent (voire garantissent) le bonheur éternel (moyennant pas mal d’euros), sont déjà souvent munis des diplômes ad hoc ou de toute façon s’en muniront (la manne financière est trop importante pour ne passer quelques années de « vacances » sur les bancs de l’université).

La psychanalyse est un des derniers lieux de liberté pour une pratique de la pensée et un rempart de civilisation contre la barbarie. Il semblerait que les psychanalystes ne l’ont pas compris eux-mêmes puisque depuis l’amendement Accoyer de 2003 (qui ne les concernaient d’ailleurs pas au départ) ils sont incapables de se déterminer collectivement comme espace d’intersection d’une certaine pratique, d’une certaine théorie sur lesquelles on s’attendrait à ce que la plupart des psychanalystes soient d’accord. Absolument pas... ce sont toujours et encore les querelles corporatistes qui dominent (essentiellement entre lacaniens et orthodoxes freudiens). C’est d’une tristesse sans fond... le vieux sur son coin de nuage doit se marrer car il l’avait plus ou moins prédit (que les psychanalystes seraient les plus résistants à l’analyse).

Partout dans le monde où la psychanalyse est institutionnalisée, surveillée, encadrée, partout où elle répond à des objectifs de rentabilité et de normalisation transformant le « psy » en « directeur de conscience », la conscience étant définie par les normes sociales en cours (il ne s’agit plus de permettre au sujet d’exprimer sa singularité, y compris dans la souffrance, ni de lui permettre de toucher du doigt son désir qui émerge au cours de ses associations verbales, encore moins si celui-ci vient menacer l’ordre social [« je ne supporte plus mon travail »], [« je ne supporte plus mon couple », etc.] , mais au contraire de lui faire avaler le maximum de couleuvres en jouant sur le transfert, donc en manipulant), partout où il en est ainsi donc, la psychanalyse est affadie et moribonde. Le grand vide laissé dans le tissu social par la disparition annoncée à terme de la psychanalyse risque fort d’être un gouffre aux croyances les plus délirantes, voire les plus dangereuses. Je parle ici de la pensée analytique qui fait (faisait) rempart au n’importe quoi dont la télévision (pour servir la publicité) abreuvent le monde entier grâce à nos technologies de haut niveau (les satellites)... comble du comble pour l’espèce humaine : précipiter son abrutissement (et peut-être sa fin) grâce à ses capacités cognitives (les cognitivistes devraient être contents : ceux qui s’acharnent à vouloir démontrer que l’intelligence n’aurait rien à voir avec l’affect... ruine sans conscience etc... ils ne leur viendraient pas au cerveau que l’affect est une excroissance de la pure intelligence formelle).

Christian JEANCLAUDE le 16 janvier 2006. Auteur de "Freud et la question de l’angoisse" (2ème édition, 2002) et "Les ombres de l’angoisse"(2005), les deux dans la collection Oxalis chez De Boeck.



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