PSYTHERE  -  Entrée 

REVUE DE PSYCHIATRIE

ETHNOPSYCHIATRIE

Tobie NATHAN, l’Hérétique...

Une Lecture d’ETHNO-ROMAN
samedi 17 novembre 2012.
 
Prix Fémina de l’Essai, paru chez Grasset, ETHNO-ROMAN, ce dernier opus de Tobie Nathan (professeur de psychologie, ethnopsychiatre, écrivain de polars et de pièces de théâtre, romancier, diplomate, et joué par Yvan Attal dans Saraka Bo, film tiré de son premier thriller ethnopsy), croise les genres : ...

...Roman, autobiographie, « essai », ...cet « Ethno-roman », échappe aux genres clos sur eux-mêmes, aux rigueurs attendues de l’essai comme aux facéties en roue libre du roman et au nombrilisme crispé de l’autobiographie : - l’auteur intrique ses idées théoriques à un point de vue situé au plus près de sa subjectivité dument localisée,- ce n’est pas "le point de vue de nulle part..." - retrace l’itinéraire d’un "insoumis" depuis le milieu traditionnel d’une Egypte aujourd’hui disparue jusqu’aux confins d’une « Afrique fantôme » comme dirait Michel Leiris, retrouvée au fin fond du Burkina Faso dans ses relativement récentes fonctions diplomatiques,- et chemine jusque dans les contre -allées des oppositions de doctrine du milieu analytique... Le propos, noue, hybride le subjectif, le singulier, assumé en première personne (point de vue du romancier ou de l’autobiographe) et ...l’universel coulé dans ses invites théoriques déjà déposées ailleurs, et dans un récit historisant dépassant son auteur, devenu ici narrateur de fragments d’une Histoire, qui va au- delà de celle de la « fabrication/dé-fabrication » d’un psychanalyste absolument rétif aux accoutumances comme aux fades honneurs dévolus aux suivants, ceux d’un milieu universitaire ou psychanalytique décrit sans aménité.

Cet ouvrage tranche sur les précédents parce que Nathan retrace en véritable -conteur-, les vies enchevêtrées de mondes divers, de ces mondes connexes à leurs jointures que le regard versé au commun a pris l’habitude de ne plus discerner selon les vertus de l "éloignement" prisée par la Raison des "modernes" ; mais à la différence des ouvrages théoriques et cliniques antérieurs, ou de ses divers thrillers ou pièces de théâtre, qui en portaient déjà témoignage, il lève plus précisément, on l’aura compris, un large voile sur l’entrelacement de ces mondes intriqués -ses- mondes à lui. Nathan retrace ainsi aussi bien les déconvenues de l’exil qui amena sa famille à quitter l’Egypte précipitamment en 56, que les tribulations d’une adolescence en banlieue parisienne passée à draguer les filles et à taquiner le concept ou l’inverse... ou frayer encore avec la gauche de la gauche dans les parages de mai 68 ; mais aussi le parcours non linéaire qui l’amena à se passionner longtemps de psychanalyse avant s’en détacher progressivement, en s’affichant peu à peu dans une forme de radicalité, liée à une créativité non bornée, consommant ainsi une rupture définitive.

Et Nathan devenu le chef de file de l’ethnopsychiatrie française, -au grand dam des suffisants qui tentèrent de dénoncer une « imposture » sans parvenir à leurs fins, le « critiquant » avec leurs seuls apriori ou leurs projections théoriques en guise de lance-flammes - de raconter dans des pages passionnantes son « initiation » par le psychanalyste bien singulier que fût Georges Devereux qualifié de « maître », avec lequel il finira par se brouiller des années plus tard, Devereux hongrois atypique et passablement paranoïaque ; d’évoquer aussi de manière fragmentaire aussi bien son analyse avec son analyste (qui finira par quitter la SPP), que ses fréquentations peu convaincues avec l’establishment psychanalytique décrit comme un groupe de gens compassés à la pensée « blanche » dénuée d’originalité... : les anecdotes relatées (avec S. Nacht, et M. Khan qui finira par etre exclu de l’IPA notamment) sont quelque peu croustillantes (rappelant d’ailleurs sous un certain jour, celles du sulfureux J.M. Masson qui avait fait état en maints détails, en 1990 dans son ouvrage resté fameux (1), ses échanges assez déroutants avec une poignée de psychanalystes chargés de l’introniser dans le Saint des Saints de leur société) et seuls Serge Lebovici ou Joyce MacDougall, ressortent du récit nathanien sur les figures du milieu (récit dont nul ne peut douter de l’authenticité) peu écornés... Le texte élégamment écrit, intercale des « tranches » de récit plus autocentré à l’écart des réseaux et des divans, où il évoque avec finesse et humour, la présence et la prestance de ses parents, Tyrone Power, Johnny Weissmuler, son père, ou George Sand, Shirley Temple, sa mère, et toute la dramaturgie des noms et prénoms venus de loin, convoquant l’histoire des migrations juives depuis Maïmonide ... l’histoire des origines.

Tobie Nathan qui se décrit lui-même comme un « provocateur  » par « surinvestissement de l’évidence  », fut un des premiers psychologues de secteur, et a dirigé après la consultation d’ethnopsychiatrie à Bobigny, le Centre Georges Devereux à Paris 8 pendant des années avant de larguer les amarres pour d’autres aventures diplomatiques africaines notamment, ou du côté de la terre promise. Il ne précise pas, somme toute pudique, dans le fil du récit sur ses années à Paris 8, que nombre de ceux qui entraient dans son séminaire tenu ces années-là, n’en ressortaient pas indemnes, mais se retrouvaient bien souvent saisis par une forme d’excitation intellectuelle peu commune, quelque peu jubilatoire, en témoins coutumiers d’un moment privilégié où la nouveauté et l’originalité d’une « pensée en marche  » (selon l’expression qu’il réserve à Devereux) semblait éclore in vivo à l’écart des dogmes et théories ambiantes officiant dans le petit monde universitaire alentour.

Nathan provocateur ? bien sur !, mais plus précisément - provoquant - la pensée, la suscitant, l’induisant, la « fabriquant » dans son atelier groupal en surchauffe (dont il livre en fin d’ouvrage les diverses figures de proue - en nommant ses compagnons de route - I. Stengers, philosophe des sciences, B. Latour, sociologue des sciences, l’éditeur Ph. Pignarre, ou encore C. Clément conquise plus tardivement)... Les « séminaristes » ou les étudiants conviés aux consultations, comme à ses cours, assistaient et -contribuaient -à l’expression in situ au quotidien, d’une pensée et d’un penseur en plein travail, d’un provo-traqueur de fausses évidences, d’un "déconstructeur" des attendus doctrinaux les plus en vogue, d’un chercheur en quète d’"eurékas" qui donnaient souvent le frisson :en lieu et place d’un caquetage professoral et à la resucée plus ou moins maitrisée et se voulant savante d’une redite instituée, ânonnée de manière quasi religieuse - comme cela se produit si souvent ailleurs où l’énonciation du maître d’occasion balbutiant,soliloquant, se perd de vue dans le droit fil de l’énoncé d’un autre maître à majuscules... Nathan est sans doute, un hérétique. Frisson, disions-nous ? Une élaboration de concepts en mouvement hic et nunc, en public plutôt que dans le réduit feutré d’un bureau solitaire, une élaboration théorique à des lieues du ressassement et des commentaires exégétiques abscons que l’on trouvait ailleurs dans les séminaires azotés habituels. Un hérétique... allumant le bûcher des vanités des faux semblants, et des pensées mortes comme du vieux bois tout juste destiné à l’âtre/l’être.. S’il était possible d’approcher par un biais, le culte des fétiches, pas ici d’idol-âtrie, de révérence ou de fascination pour un quelconque maître maintenant le joug, la dépendance, l’asservissement ou la servitude "transférentielle" localisée, maquillée dans l’affiliation au dogme du dit maître. Posture qui serait peut-etre celle d’un « contemporain » au sens que confère à ce terme G. Agamben (2), celui qui saisit dans le moment traversé, ce que les autres ne voient précisément pas, pris dans l’angle mort de leurs évidences du moment ou la pâte commune et absorbante du discours-courant, pour reprendre à Lacan. Contemporain : celui qui dans les ténèbres ... "Voit". En effet.

Nous retrouvons peut-être au fond dans cette inventivité contestataire,-dans ce refus subversif des accommodements institutionnels autant que de pensée, et déplacé sur le champ théorique,pratique,clinique, - le même vibrion révolutionnaire que celui qui avait poussé Nathan à frayer avec les maos... Peut-être cela est-il même lisible ou repérable finalement, si nous forçons le trait, sous la guise de l’étendard - "ethno-psychiatrie" : ni éthno-/logie, ni/psychiatrie ni /psychanalyse. Et -no... (Ethno-roman : ...ni/roman... Une forme hybride de plus, et émancipée). Et-no encore : à entendre comme une négation porteuse en réalité d’une succession d’effets de souffle, d’effets chaotiques autorisant justement une réelle créativité conceptuelle et pratique, d’où résulte l’intérêt pour la « technique » ou la « thérapeutique », deux termes particulièrement prisés par Nathan et considérés ailleurs avec une condescendance bien reçue. Création de "concepts actifs", d’ « objets » par exemple, réhabilitant un des termes, polaire mais honni dans l’horizon de la pensée moderne et positiviste de la dualité (sujet-objet), et laissant tomber, par la même occasion -ou pour le moins cessant de mettre en exergue jusqu’à perte de vue et de sens (comme partout ailleurs)- le sacro-saint "sujet". Réhabilitation argumentée, travaillée, transgressive, de l’objet. Un objet bien différent, bien sur, de l’objet analytique, bien abstrait, élaboré dans son emphase scientiste. Non l’objet réhabilité à la fois dans sa pleine concrétude,dans son opacité promotrice de pensée, et dans ce qui à travers elle, ouvre à des univers étranges/étrangers, appréhendés jusqu’alors dans ce regard trop "éloigné". Une invitation ici, singulièrement frappante, à dé/penser, ou penser autrement,davantage qu’une aspiration ironique flattant comme chez J.Baudrillard ce qui serait une "revanche des objets". Nathan forcément postmoderne, invitant ce faisant à une autre vision du monde, à transformer la nôtre, tamisée par les appareillages positivistes, ou prétendûment plus raffinée mais plus insidieusement religieuse,... invitation à laquelle Bruno Latour son constructiviste comparse semble répondre de livre en livre, paraissant apporter à l’élaboration et à la créativité conceptuelle de Nathan, sa légitimité épistémique... Au fond, "nous n’avons jamais été modernes"...Après la promotion de l’objet, se trouvant pourvu d’une intentionnalité (ou plutôt capteur d’intentionnalité), et d’une opacité lui restituant sa dignité,- arrivera en conséquence, ou en dérivée, l’habilitation des non-humains, entité sulfureuse pour les pratiquants ritualistes hexagonaux de la subjectivité et de l’inconscient dûment hypostasié, cet esprit sauvage laïcisé chargé de rendre compte des bévues individuelles et sociétales, des symptômes et des à-côtés de la conscience et des trous dans le tissu de la Raison pure. De quoi donc l’ethnopsychiatrie est-elle, ou reste-t-elle donc le nom ?...De quelle subversion autrement dit ou plus exactement, est-elle toujours porteuse ? De quel -non, de quelle négation, - ou plus exactement de quel "Tsimtsoum" créatif (3) ?...

...L’affirmation progressive de la pensée théorique et clinique de Nathan généra parfois des dissensions. Il y eut d’ailleurs des ruptures au sein du groupe d’affidés. Certains partirent pour reprendre les voies pavées de l’institution, de ses réseaux et de ses codes, et firent du Nathan sans le dire, sous le manteau, voire « en plus présentable » (la verve créative en moins, ce qui plombait par avance l’entreprise - la création ne se transmettant précisément pas...) en retissant des liens avec la doctrine analytique, quand Nathan de son côté s’affranchissait ostensiblement de ses dernières attaches. On se souvient des premiers ouvrages encore imprégnés des références théoriques empruntées à D. Anzieu notamment, autour de la notion d’ « enveloppes », mais aussi de celles réélaborées à partir des concepts trouvés chez G. Devereux. Puis ce fut du Tobie Nathan. Ceux qui quittèrent le groupe furent finalement reçus à bras ouverts par ses opposants initialement sceptiques. Ceux-là, les psys institutionnels, les gens de sérieux aussi arque-boutés sur leurs dogmes que théoriquement stériles, les chargés du maintien de l’ordre doctrinal, les petits pontifes assis sur leurs célébrité provinciale, psychanalystes, anthropologues, plus sourcilleux de leur statut que de créativité, mis (à distance, sans avoir « vu » ) au parfum de sa pratique et de ses théories trop sulfureuses - car éloignées du prêt à penser universitaire - avaient leurs réponses réflexes fourbies d’avance qui leur éviteraient de déchirantes révisions, et l’anathème ainsi allié à une profonde méconnaissance de sa pratique clinique et de ses effets (souvent décisifs sur les patients les plus difficiles qu’il prenait en charge -fréquemment le "rebut" des services de psychiatrie, complètement déboussolés par ces "intraitables" et autres "récalcitrants"). Ceux-là y allaient de leurs commentaires ironiques et violents parfois, même s’il ne l’avaient pas lu ; certains férus de « psychiatrie ou de psychanalyse transculturelle » n’en connaissaient que le nom et ce qui se savait du vague maniement d’objets qui les intriguaient vaguement ou si peu, et leur donnait à penser que tout cela était au demeurant, folklorique, mais sans prise sur la réalité de la clinique du tout-venant... Pur effet de mode pensa-t-on aussi, et souvent simple savoir par « ouï-dire », qu’il s’agirait de contenir : « Mes collègues, les psys, se sont demandés comment me faire taire... La pensée commune, celle qui se récite en bandes, peut se révéler un véritable venin »...

Au Centre G. Devereux, Nathan s’occupait des migrants selon une méthodologie bien singulière, les recevant avec son groupe ouvert de co-thérapeutes, (- rien à voir avec les sidérantes "présentations de malades" ayant lieu ailleurs, ces vilains théâtres opposant une foule d’apprentis et leur maître du bien-dire à un patient toujours "psychotique" chargé de conforter l’assistance dans la méta-rectitude de la théorie du maître-), ou se rendant parfois chez eux souvent accompagné de ses média-teurs-traducteurs (il écrit : « Si les gens simples ont bien du mal à raconter leur vie et leurs problèmes dans un cabinet, ils deviennent intarissables lorsqu’ils vous reçoivent chez eux  »), et donnait son temps sans compter- toujours avec une empathie très à distance de l’indifférence condescendante ou de la pose inquisitoriale prisée par nombre de psys dans leur face à face "plénipotentiaire" avec les patients... Attitude malheureusement bien souvent présente chez les praticiens du "lien", et qui peuvent en parallèle, clivage fonctionnel opérant sans souci, discourir dans les salons et colloques bien vus, sur le fameux « lien social »... Nathan, qui deviendra "diplomate", était et est extrêmement -diplomate- dans sa manière d’écouter et d’accueillir la parole de l’autre, n’arborant aucune position de pouvoir : l’autre se sentait reconnu dans son système de références multiples, invité à penser plus avant ce qu’il n’osait dire jusqu’alors aux psychiatres et psychologues précedemment rencontrés, et à parler sans crainte d’être pris dans la nasse des projections théoriques usuelles, ou des préconceptions catégoriales, scolaires, stériles d’un savoir de cire, et que bien souvent bien sur, non-dupe... il n’ignorait pas. Diplomatie ? - "Courir les risques de la diplomatie, écrit B. Latour (4), c’est-à-dire, apprendre à bien parler à quelqu’un de quelque chose qui lui importe vraiment". Le jargon psy quant à lui, était assurément hors jeu,et sans effet, d’aucune utilité pour "penser" l’inédit d’une situation à chaque fois singulière. Dans l’esprit des « commis de la pensée convenue  », Nathan n’avait que peu de portée sur le vaste champ psy, il restait dans les marges, et s’occupait dans son coin, des marginaux, des migrants ; eux pour leur part, contribuaient à assurer la surveillance des frontières du pré carré du savoir institué, savoir infiltrant depuis lurette la moindre parcelle du champ social, administratif, judiciaire, et culturo-médiatique, donnant raison aux prophéties de Michel Foucault qui avait il y a près de 40 ans stigmatisé la psychanalyse, alors en pleine vogue, comme auxiliaire décisif de contrôle social. Il aurait davantage convenu pour ces gens, ces gens sérieux, que le virus ethnopsychiatrique, ne prit pas et fut circonscrit à la Seine Saint Denis, et à son curieux laboratoire de recherches. Il aurait convenu que les migrants recoivent leur label de "sujet" et soient in fine psychiatrisables comme le tout venant. Il est pourtant possible que ce scenario ne soit pas des plus convaincants au regard, de l’évolution sociétale contemporaine qui semble généraliser la condition de migrant, en la faisant déborder sur les "non-migrants". Possible de supposer en effet que le malaise "individuel" postmoderne ne puisse plus s’appréhender à partir des théories substantialistes du siècle dernier : le déracinement, la liquidité (Z. Bauman) de notre condition, l’hybridation avec les "objets" techniques se maximalisant (suscitant ailleurs des réflexions incisives sur le post-humain, comme chez la théoricienne post-féministe des cyborgs, D. Haraway (5)), imposent à la pensée "clinique" une nécessité de transformation, conduisant à considérer plus sérieusement les questions de lignes, de bords, de frontières, que le vocable borderline (trouvaille certaine dans les années 70...mais initialement contestée sur sa gauche pour frelater la doctrine) ne pouvait laisser qu’à peine augurer : questionner de manière novatrice l’univers des appartenances, -par delà la mythologie oedipienne-, des invisibles, et des objets...c’est-à-dire questionner autrement les êtres et les ontologies réelles qui investissent (ou qu’investissent) les singularités, les personnes. Réinterroger ce faisant, les frontières de nos catégories de pensée, et nouer un autre rapport avec l’altérité, sans se contenter dorénavant des fioritures stylistiques et des grands Autres en papier maché. Mystères de l’incarnation...

Dans le milieu des années 90, Nathan confiait goguenard à ses étudiants et compagnons de route, que la psychanalyse était condamnée, que son heure était passée, avant que ne sortent bien plus tard les essais fort dérangeants de M. Borsch-Jacobsen ou le fameux "Livre noir" auquel il participa, et qui annonçait une guerre ouverte avec les appareils... Pour limiter l’impact de ces ouvrages, la "pensée convenue" tira à boulets rouges, évoquant la "haine" qui serait seule promotrice de l’entreprise critique ainsi ciblée, et recourut comme toujours aux admonestations destinées aux convaincus : l’entreprise de Borsch-Jacobsen, tête de pont des Freud Wars peut-on lire, n’était qu’un épisode habituel dans la lutte d’influence entre Jung et Freud. Bref du déjà vu, sans inquiétante étrangeté... : les vaches pourront continuer à être bien gardées et le sommeil, comme dirait Hume, perséverer dans son train-train dogmatique. Pour Nathan, la « guerre des psys » qui renvoyait ironiquement dos à dos analystes et comportementalistes, pouvait ainsi continuer à se nourrir dans une spécularité stérile. Nous savons aujourd’hui dans quel état se trouvent psychanalyse et psychiatrie malgré les assurances de certains qui ont cru pouvoir encore récemment écrire que le "XXIème siècle sera lacanien", et malgré l’enthousiasme béat d’autres confiants en une psychiatrie pensée comme antichambre des neurosciences et chargée de domestiquer le "parc humain"(P. Sloterdijk).

Ce qu’il reste de psychanalyse dans l’univers psychiatrique est devenu souvent méconnaissable. La psychanalyse, disons une certaine psychanalyse -vulgaire-, vulgarisée, collant aux "évidences" - à la différence de celle qui innove dans ses marges- aujourd’hui sur le reflux, est devenue chemin faisant pseudo« science » d’experts. C’est dire en effet son dévoiement et son malêtre. Son ravalement au statut de doctrine d’expert. Les « indignés » sur facture, du sort social réservé à la psychanalyse font hélas souvent figure de prêtres du XXIéme siècle nous rappelant sans cesse à nos « invisibles » modernes, et à leurs exigences, leurs rituels et nos manière de les servir. Il est paru récemment un ouvrage d’un psychiatre « expert » et "psychanalyste", exposant ses conceptions de l’expertise avec sérieux, honnêteté et ...triviale bêtise. Exercice scolastique, au cadran arrêté d’un préchi-précha voulant doctement faire passer les vessies d’un savoir figé, pour les lanternes supposées éclairer le vivant. Tout cela nous semble bien aux antipodes de ce qui peut faire écrire Nathan cette phrase selon laquelle « la réaction des enfants est imprévisible, c’est pourquoi il ne faut pas croire aux prédictions des psychologues ». On sait bien à quelle sauce les enfants peuvent ainsi être mangés par les gens bouffis de leur sérieux, et leur proto-savoir cannibale. Ne jamais croire en fait, les prédictions des "experts" ou des prêtres de notre temps. Il faut déplacer l’expertise selon Nathan, afin rajouterons-nous, qu’elle échappe au "stupide vacarme de la bêtise" (G. Steiner)...Ouvrir les horizons et les "négociations"...

Frank BELLAICHE

Ethno-roman a été salué le 5 novembre 2012 par le prix Femina de l’essai.

NOTES

1 - J.M. Masson, Final Analysis - The Making and the Unmaking of a Psychoanalyst, Ballantine Books, 1990.

2 - G. Agamben, Qu’est-ce que le contemporain ?, Payot-Rivages, 2008.

3 - M.A. Ouaknin, Tsimtsoum, Albin Michel, 1992.

4 - B. Latour, Enquête sur les modes d’existence - Une anthropologie des modernes, La Découverte, 2012.

5 - D. Haraway, Manifeste Cyborg et autres essais, Exils Editeurs, 2007.



Forum de l'article

RETOUR

© 2000 - 2024 Psythère  - Tous droits réservés