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REVUE DE PSYCHIATRIE

PHILOSOPHIE

La position du Clown - Philosophie pratique des désirs. par J.B Scherrer

Freud avec Deleuze ?
lundi 15 mai 2006.
 

La position du clown - Philosophie pratique des désirs.
Jean-Baptiste Scherrer
Anabet Editions
2006 - 88 pages

Ce petit ouvrage du philosophe Jean-Baptiste Scherrer, spécialiste et traducteur du poète Paul Celan et du logicien Kurt Gödel, a les vertus de reposer certaines questions à « La » psychanalyse et aux discours conformés qui s’en réclament ou qu’Elle autorise dans le champ social.

L’idée psy (Sibony) fait aujourd’hui question. Le discours analytique notamment est sur la sellette. Pourtant « la victoire de la psychanalyse est presque sans appel quoiqu’en disent les âmes tristes et les conjurateurs », répètent à l’envi certaines notabilités (cf récemment E. Roudinesco). Cette victoire serait elle-même la source des résistances croissantes à l’analyse : constat paradoxal.
Le principe d’abstinence qui réglait initialement le déroulement de la cure - ni gratifications libidinales (le névrosé avait là-dessus quelques difficultés) ni lectures trop freudiennes (pour éviter les rationalisations intellectualisantes) - a laissé place à son envers, celui du commandement de jouir auquel s’adjoint la diffusion d’un freudisme diffus dans toutes les instances du champ social et culturel ; à l’heure d’une pornographie envahissante, les bacchanales précèdent la cure, et les concepts analytiques structurent depuis longtemps notre préconscient social. Jouissance diffuse et neutralisation conceptuelle auraient ainsi émoussé le tranchant de la révolution analytique et de l’efficace de la cure, dont certains crurent bon de dénoncer vertement les vertus « thérapeutiques ».

« Il est interdit d’interdire ! » énonçait l’un des graffitis emblématiques de mai 68, signifiant cette tragique conformation d’un impératif de la jouissance - auquel un certain libéralisme allait donner une suite certaine, -et à cette époque nous sommes en pleine « révolution sexuelle » - impératif énoncé au nom d’un freudisme infléchi par Marx : "Eros et civilisation" - le pape de cette époque troublante et troublée n’était autre qu’Herbert Marcuse.
Nous serions ainsi conduits à penser que la percée et le triomphe culturel du discours analytique aurait eu raison de son efficace dans le champ clinique : la cure analytique qui dans les débuts de l’aventure de la horde sauvage prenait quelques mois, tombe sous le coup de l’interminable et des philistins comportementalistes. La révolution sexuelle accomplie, le concept aussi diffus qu’émoussé, la névrose classique laissant la place à de « nouveaux symptômes », l’analyse tiendrait moins bien le coup face aux thérapies en tous genres, pharmacologiques, behavioristes, et autres... A lui seul Woody Allen illustrerait à la fois ce succès et cet échec de la révolution freudienne.

Revenons à Scherrer dont le propos ne s’inscrit pas dans le champ restreint du duel imposé ces derniers mois visant à vouer aux gémonies ou à encenser la psychanalyse versus les TCC. La psychanalyse figure comme discours de référence par rapport auquel prendre appui et distance, à partir de la contestation de sa vulgate rassie et controuvée. Pour opérer cette démarche critique mais non fielleuse, contestataire mais non bêtement polémique, il y a lieu de réhabiliter la figure du retour. Retour aux questions originaires, à l’infantile, à ce qui de la sexualité résiste au diktat de la névrose, et à l’assignation des discours et des pratiques collectives qui promeuvent dans la quotidienneté la plus prosaïque des us et des standards piégeant le désir, éconduisant le parti pris risqué au singulier, l’échappée belle d’une érotique à réinventer pour chacun selon ses propres chemins de traverse, à l’écart des modes et des brouhahas idéologiques, et du prêt à rabrouer d’une pensée psy formolisée... Retour à Deleuze également. Mais Deleuze dénonçant certains écueils de l’analyse, c’est certainement plus palpitant que les épigones sans âme ni psyché de Skinner.

Fragments d’un discours érotique...
Le sexualité rabattue sur la génitalité, la perpétuation d’un discours familialiste hors saison sur le sexe, l’invasion de la pornographie en vis-à-vis de savoirs normatifs où pointe - sous l’invocation de la structure et de la sciencia sexualis (M. Foucault) que serait selon l’auteur la psychanalyse - une morale naphtalinée, le propos du philosophe Jean-Baptiste Scherrer qui se frotte de près à la chose freudienne, se situe dans une ligne de pensée volontiers deleuzienne, contestant l’effet massifiant de notre rapport contemporain au désir, dans sa mise en discours, dont l’effet est de rabrouer l’émergence des « agencements » désirants singuliers.
Le collectif massifiant réglerait notre relation au désir, au plaisir, à la sexualité, par le biais contestable d’une idéologie psychanalytique dont le souffle se perd. (Voir à ce sujet, "La guerres des psys - Manifeste pour une psychothérapie démocratique. 2006, T. Nathan et al.) « Quand elle (la psychanalyse) conduit à pleurnicher dans le cliché, la psychanalyse se transforme en son contraire : savoir carcéral et non ignorance joyeuse, désillusion souriante. »

« Dés qu’on aborde la question de la sexualité, tout le monde sait d’avance à quoi s’en tenir. C’est cousu de fil blanc... ». Le préalable est de retrancher la sexualité de ses organes, pour dissiper le malentendu : avant Freud, Scherrer nous renvoie à Aristophane et au Banquet de Platon. Ces fragments d’un discours érotique, - l’auteur se recommande de Barthes - tentent de jouer Freud contre lui-même, et en appelle à soustraire les « vérités » institutionnelles et compassées d’un discours clérical(Deleuze), des fulgurances qui permirent à la psychanalyse naissante de bousculer les us et coutumes idéologiques d’une époque, se faisant par là même vecteur révolutionnaire. Scherrer reprend l’analyse que Freud opère de la sexualité infantile, mais c’est pour en effectuer une lecture désorientant les poncifs généralisants, puisqu’il s’agit par exemple de revisiter -Les confessions- sans rabattre les émois sexuels de Jean-Jacques dans les ornières et le sans appel de la prégénitalité, mais d’y retrouver le sexuel en éveil, sexuel qui déborde, et s’exile des attendus normatifs et qui fraye son cheminement au travers d’une quête désirante singulière.
« Il faut lire Freud contre Freud, opposer l’idée d’une expérimentation singulière des corps à celle d’une analyse de la Psyché... », privilégier le singulier, le corps, contre la tyrannie du passage au général, autrement dit de l’invocation du psychique et de son inévitable mode d’emploi. Contre la tentation de faire du sexuel une potentialité plus ou moins réussie de l’assomption de la différence sexuelle, il convient de malmener l’étrange équation, qui noue le sexe à ladite différence, en se reportant une fois de plus à la liberté du sexuel infantile, cette « sexualité clandestine » qui viendrait présentifier un sexuel d’avant la différence des sexes, car ignorant celle-ci. Plutôt privilégier l’indifférence masculin-féminin et les différences singulières. L’angoisse de castration ? ...un effet de cette sexualité subordonnée au génital. Désubordonnons, démystifions le fétiche génital qui fait écran à la totipotence sexuelle. Solidarité en quelque sorte avec la pornographie qui prend le fétiche génital pour le sexuel, les vessies pour des lanternes... Difficile d’échapper à la pulsion scopique ? Le sexuel est ailleurs, non réductible au fantasme, non réductible à une machinerie et quelques scenarios S/M. Et certainement pas promotionné par la résolution oedipienne du sexuel infantile, qui plutôt que découvrir l’autre, le renverrait définitivement dans les cordes du même, les pièges de la Chose.
Œdipe et la sainte famille, où se joue non une trajectoire singulière, mais un remake destiné à assurer la finalité reproductive de l’espèce : Œdipe n’est qu’une histoire phylogénétique, insuffisante à assurer l’éclosion d’une subjectivité. Quant à cette évidence conjoignant le manque et le désir, opposant plaisir et désir : l’auteur propose avec Deleuze de lorgner du côté de Spinoza et de son matérialisme conduisant à suspendre définitivement l’hypothèse de l’âme, recyclée sous la forme du moi ou de la psyché. (« L’âme est le nom commun qu’on donne à l’ignorance des puissances propres du corps »). Il convient de dénoncer les fausses antinomies et les fausses dialectiques. Citons ce Deleuze très nietzschéen(in Dialogues, G. Deleuze-C. Parnet, 1996) « Désir : qui sauf les prêtres, voudrait appeler cela « manque »... Ceux qui lient le désir au manque, la longue cohorte des chanteurs de la castration, témoignent bien d’un long ressentiment comme d’une interminable mauvaise conscience ». Scherrer reprend l’éloge deleuzien de l’éclat des surfaces contre les sombres profondeurs. Eloge du local, du partiel partial, des intensités, des multiplicités.

Freud avec Deleuze ?
Ce livre plaisant, n’est pas pourtant un digest de l’Anti-oedipe de Deleuze-Guattari, il a le mérite de raviver sous les plis d’une lecture institutionnalisée, d’une langue devenue commune, la fraîcheur et les trouvailles du texte freudien. Retour à Freud, certes en un sens, mais avec Aristophane, Platon, Rousseau, Spinoza, Barthes sur fond d’un deleuzisme tempéré. Freud revisité, dans ses textes fondateurs, celui par exemple des Trois essais, où l’on comprend en effet que la mécanique génitale ne saurait résumer le vaste chapitre de la sexualité, que la vérité de l’humain et de son désir a quelque chose à voir avec ce polymorphisme dont la mise en bière sous le label pervers devrait laisser place à son exultation, afin de recouvrer le sens de ce qui a peut-être été perdu aujourd’hui quant à la "nature" du sexuel.

FRANK BELLAICHE



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