Il y a une pensée
diffuse du tout-génétique, sous tendue par un essentialisme
génétique qui rend compte du gène devenu icône
culturelle, entité cruciale, cause ultime, chargé de donné
la clef de l’identité, des comportements et des relations sociales.
L’auteur, à la suite de A. Lippman (1991), avance le concept de
généticisation, fabriqué pour décrire les
mécanismes d’interaction entre la médecine, la
génétique, la société et la culture. La culture
occidentale serait profondément entraînée dans un processus
de généticisation. La génétique représente
une transformation potentielle de la compréhension de l’humain et
de son existence. Si elle est une voie pour comprendre le monde, sa praxis
est une voie pour imaginer le futur. Mais elle est peut-être aussi
l’occasion de réapparition de la métaphore mécaniciste
du discours médical sur le corps, avec, en lisière, l’espoir
de " l’homme parfait ". Pour H.A.M.ten Have, un " futur
généticisé " est possible s’il y a consensus sur deux
éléments du débat actuel : celui de la neutralité
morale de la clinique génétique et celui de l’idéal
de la responsabilité individuelle. Dans ces seules conditions
réunies, la médecine prédictive tendra à culpabiliser
et responsabiliser les sujets en enjoignant à l’individu de prévoir
aussi tôt que possible sa vie dans le futur proche et lointain, sous
la pression des institutions sociales, et des compagnies d’assurances...
La destinée collective de l’humain dans les sociétés
occidentales pourrait alors être profondément
généticisée.
Pour une approche
biocritique ?
Comme le rappelle l’auteur,
la thèse de la généticisation évoque celle de
la médicalisation culturelle, qui a fleuri à la fin des trente
glorieuses, notamment aux Etats-Unis avec les travaux d’Ivan Illich, ou en
France avec ceux de Michel Foucault. Le concept de généticisation
se voit d’ailleurs parfois décrié sur les bases du débat
des années 1970. Pourtant, il ne s’agit pas d’un simple revival.
Pouvoir et savoir :
retour sur le biopouvoir
Néanmoins, souligne
l’auteur, la thèse de la généticisation s’inscrit, il
est vrai, dans le frayage de celle qui dénonçait l’étendue
du pouvoir médical. A l’époque du clonage et de l’arrêt
Perruche, et devant les risques de " domestication " de l’humain que la nouvelle
donne génétique introduit (P. Sloterdijk [1]), il n’est pas
inutile de se rappeler le discours de M. Foucault critiquant la médecine
comme " technologie politique des corps " au service d’une technique plus
vaste de normalisation sociale. La médicalisation culturelle était
donc pensée sur le registre d’une vaste entreprise de coercition et
de contrôle social. Si l’on admet plutôt aujourd’hui que cette
critique était quelque peu abusive, faisant fi d’un certain
réalisme, comme du gain d’autonomisation et de libertés de
la personne permis par les avancées de la science médicale,
la question génétique vient raviver dramatiquement cette critique
sur des bases probablement moins idéologiques, et prend à rebours
toute normativité à une époque qui accepte toute forme
de dérégulation qui puisse favoriser le... marché.
Néophrénologie
: l’avenir de la psychiatrie ?
Les biotechnologies ont
une portée totalisante sur l’humain : l’intimité psychique
n’y échappera pas. Le champ de l’intimité en lui-même
est réduit en peau de chagrin par le biais des technologies, des
réseaux de communication et des objets mercantiles ventant
l’impersonnalisation du désirable.
Suite |
Le désir tend à
échapper à la sphère privée, du sujet désirant,
branché sur l’économie rhizomatique du désir grégaire
des masses, nourri par la publicité. A la transparence des egos
socialement promue par nos machines à influencer
télémédiatiques, à la galvanisation de l’espace
public soumis aux acquéreurs de tous poils, ont déjà
répondu, coté science, ceux qui pensent lire les " maladies
de l’âme " sur des tranches de scanner, quand d’autres lorgnent sur
les avancées de la biologie moléculaire qui leur dira le lieu
de résidence du " couac " psychique. Le spectre d’une
néophrénologie hante désormais la psychiatrie, mais
avec des armes bien plus efficaces que celle des vieux clichés de
l’anthropologie de papa. Et la néophrénologie a même
des moyens réthoriques plus que théoriques, pris dans les combles
d’une philosophie du corps, qui a résolu le mind/body problem en
réduisant le mind au body, et la pensée à des items.
" La réalité de l’esprit est un os " écrivait ironiquement
l’auteur de la Phénoménologie de l’esprit, à propos
de la science de Gall... L’os est devenu molécule. Cata-combles...
La génétique tombe ici à point nommé pour fourbir
de nouvelles armes contre les " corps " individuel et social en voie de
biotechnicisation. Résister à cette machination infernale,
suppose de pouvoir provoquer quelque sorte de bug éthique entre
la puissance du savoir génétique et l’acte de son pouvoir
technique, dans la mesure ou la génétique engage notre devenir
civilisationnel. Acte devenu presque impensable ou
héroïque...
L’ère du Post
humain
Après la bombe
atomique, la " bombe génétique ", après la mort du
Créateur, celle du procréateur, s’exclame, pessimiste, Paul
Virilio [2], ...pour lequel la pensée bioéthique ne ferait
que " préparer avec sollicitude l’espèce humaine à sa
propre disparition ". L’engineering génétique et toutes les
biotechnologies nous portent effectivement au seuil d’une mutation
anthropologique dont la bioéthique fait semblant d’ignorer la dynamique.
La fin des grands récits, la métamorphose
de la narrativité soulignée par Jean-François Lyotard,
sur fond de révolution de nos médiums textuels, qui
caractérise la condition postmoderne, accouche désormais de
manière chaque jour plus évidente avec les trouvailles
génétiques, de l’homme virtuel. L’heure du post humain est
en train de sonner avec la promotion du seul Texte qui compte, le texte
moléculaire de l’ADN.
Vers un devenir clefs
en main ?
Des simples politiques
aux idéologues scientistes, des sociobiologistes des années
1980 aux Docteurs Mabuse actuels, le devenir semble désormais à
portée de main de lecture et de relecture organisée par la
science, en dehors de toute scolastique probabiliste. Pour la question du
devenir, les récits religieux justement offraient la voie de la
Révélation et du questionnement ; maintenant ou demain, le
devenir semble offert à la Réponse d’un Fatum façonné
et refaçonnable dans les mailles de notre code génétique,
au delà de toute anticipation phobique du risque d’une nouvelle mouture
d’eugénisation sociale, dénoncé par certains biologistes
[3]. Bref, il nous faut un bug... pour échapper à
la " simulation génétique du vivant " selon l’expression de
J. Baudrillard [4]...
Bibliographie
1.Sloterdijk P.
L’heure du crime à l’âge de l’œuvre d’art. Actes sud 2001.
2.Virilio P. Ce qui arrive.
Galilée 2002.
3.Neuman-Held E.M. Can
it be a "sin" to understand disease ? On "genes and eugenics" and an "unconnected
connection". Medecine. Health Care and Philosophy 2001 ;4:5-17.
4.Baudrillard J.
L’échange impossible. Galilée 1999.
H.A.MJ. ten
Have. Genetics and culture : The geneticization thesis. Medicine, Health
Care and Philosophy 2001 ;4:295-304.
Frank Bellaïche
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