Les études
médicales ne préparaient pas à la question de la vie
et de la mort. Or la relation médicale est la rencontre de deux
inconscients autour de la maladie, de la souffrance et de la mort. Chacun,
au fil de son exercice, a dû inventer et construire empiriquement un
espace relationnel. Confronté à une médecine mutante,
le médecin, technicien et poète du vivant, accompagne son patient
dans ses interrogations face aux questions les plus vastes et les plus
inattendues. Au centre des demandes, des espoirs et des craintes, nous avons
à l’entendre sur ses inquiétudes : ce qu’il respire, mange,
boit, ce qu’il vit, ce qu’il transmet de son expérience ou de son
nom. Le médecin est interpellé, clairement sur la maladie et,
à son insu, sur l’environnement. L’avenir de la médecine se
joue au sein d’un écosystème en mutation où les enjeux
moraux et bioéthiques conditionnent le rôle, la fonction et
la place des médecins dans notre société. Il est pivot
entre une société médicalisée, fascinée
et consommatrice, et une réalité de terrain.
Une clinique de la
bioéthique
Une clinique de la
bioéthique fait aujourd’hui irruption dans les consultations car la
nouvelle médecine attrape le sujet au collet et vient lui demander
quelques comptes : peut-on laisser son enfant, son frère, son père
mourir quand on peut le sauver ? Et voilà, un patient en pleurs face
à un dilemme effroyable : rester en parfaite santé ou partager
son foie et sauver son frère ? Lui qui adore son frère et craint
la plus petite piqûre, bascule dans l’horreur de l’indécision,
les angoisses, la culpabilité et une solide dépression. Une
médecine deus ex machina peut transformer un bien portant en
malade. Nous voyons naître une nouvelle série de patients :
les malades de la médecine. Sentinelles vigilantes à l’exercice
d’une pratique médicale cohérente, il est nécessaire
de garder la tête froide face aux prouesses funambulesques et le cœur
chaud pour les avancées médicales
La loi du capital ou
les oies du Capitole
Entre la loi du capital
ou les oies du Capitole, la tâche promet d’être rude. Nous vivons
une mutation de la médecine liée aux explosions des biosciences
: thérapie génique, décryptage du génome, clonage
thérapeutique et humain. Autant de voies qui touchent, pour la
première fois dans l’histoire de l’humanité, à la conception
et la réorganisation du vivant en général et de l’humain
en particulier. L’impact sur l’homme et son environnement est évident
mais non prévisible encore moins mesurable. La médecine est
au premier plan de ces mutations. Etrangement, le discours des médecins
en général des psychiatres et psychanalystes en particulier
est quasi inexistant. La bioéthique n’est pas une chose lointaine,
elle nous convoque, et nous convoquera de plus en plus, au cœur de notre
pratique. Quelques exemples, loin d’être exhaustifs, sont autant de
thèmes de réflexion. La greffe et les donneurs, ou le clonage
: des rêves, des rives... La médecine prédictive ou
les angoisses collectives : OGM, organisme génétiquement
modifié, OVM organisme vivant modifié, HGM homme
génétiquement modifiable. Le patronyme ; question concomitante
aux évolutions procréatives. L’information et l’aléa
thérapeutique : du droit aux réalités
médicales.
La question des limites
La question des limites
entre la biologie la médecine est clairement posée. Où
commence l’une et où s’arrête l’autre ? Quelle est la
responsabilité morale du médecin ? Qui fixe les limites du
registre médical et celui de la biologie appliquée, lorsque
l’homme touche l’architecture du vivant et se donne le pouvoir de s’affranchir
de sa propre conception ?
Le bond des biotechnologies
sur la planète santé
Le fantasme devient
réalité : pour la première fois dans l’histoire de
l’humanité, l’homme sait s’autoengendrer. Quels sont les impacts sur
la psyché lorsque le mythe entre en compétition avec le réel
? La société est porteuse des représentations psychiques
vivantes, mouvantes, de l’homme face au monde.
Entre dérives
et aléas
Entre dérives et
aléas escortant les bouleversements, notre société
sécrète des nouveaux comportements et régresse sur le
point d’ancrage le plus archaïque : la nourriture.
Suite |
De la vache folle,
à la fièvre aphteuse, l’hystéria collective développe
ses terreurs orales. Elle tente de les juguler par des conduites contraphobiques
et traque la traçabilité d’aliments qui ont fait trois fois
le tour de la terre. Tétanisé par le principe de précaution
et de transparence, elle décime son cheptel aussi allègrement
que l’on jetait sorcières au bûcher. Pendant ce temps,
s’élaborent et s’affinent discrètement les techniques de clonage.
Séquençage
génomique et clonage
Face
au séquençage génomique et au clonage, le couple
prédiction prévention se pacse pour le meilleur et pour le
pire. La médecine évolue vers la prédiction pour mieux
prévenir, pour mieux soigner. In fine, si l’objectif atteignait
la perfection, l’ultime paradoxe serait de tout prévoir pour n’avoir
plus rien ou plus personne à soigner . Les liens qui réunissent
le patient et son médecin sont en interaction constante dans leur
rapport au monde. L’approche globale des patients implique une vision globale
de la relation, des rapports qui se construisent dans la rencontre entre
patients, société et médecins. La relation
thérapeutique est un tout, associant déontologie et fonction
soignante. Les nouvelles connaissances, notamment en génétique,
les compétences technologiques et leurs utilisations sont des enjeux
fondamentaux pour l’Homme en général et le patient en particulier.
Bouleversement majeur, saut de registre, mutation, tout contribue à
une conception et un exercice de la médecine renouvelé. C’est
pourquoi nous sommes dans une nécessaire évolution de nos
références, de nos pratiques et de nos modes de penser la
médecine et le patient.
La bioéthique
est un point de repère
La bioéthique
est un point de repère des échanges, des informations et des
valeurs entre le médecin et le patient. Des chimères
protéiques au génome, le médecin est au centre de la
biologie moderne et de la science du vivant. Il est un pivot entre les nouvelles
médecines, les nouvelles attentes et les nouvelles peurs. Face aux
bouleversements sociétaux majeurs de notre ère
génétique, le médecin a un rôle et une place sociale
en constante évolution. Entre les craintes, les espoirs et les utopies,
qu’il le souhaite ou non, il sera investi d’une place de coordonnateur et
de médiateur, qu’il devra occuper. Place difficile, entre l’illusion
et la déception, entre le possible et le réalisable, il sera
vraisemblablement au carrefour de pressions autrement plus lourdes que celles
qu’il connaît actuellement. Témoin direct, confesseur et censeur,
il est soumis à l’ambivalence de la société à
son égard. A la fois apprenti sorcier et Dieu, il aura à
gérer la demande d’informations. En étau entre les prouesses
de la médecine de pointe et son humble cabinet de consultation, il
porte les mouvements contradictoires d’une société entre espoirs
et effrois. Il oscille sur la corde raide du médecin de quartier entre
les demandes des patients, les performances médiatisées, sa
réalité de terrain humaine, administrative et comptable. Dans
ce contexte du quotidien élémentaire, nous vivons une
révolution biologique et plusieurs thèmes sont à
développer autour de la place du médecin dans la
société, son rôle dans l’environnement, son avenir dans
les biosciences.
L’influence des lois
L’influence des lois en
médecine est de plus en plus manifeste, parfois déroutante
et toujours questionnante. De l’obligation d’information au renversement
de charge de la preuve, de l’arrêt Perruche aux jugements renforçant
l’idée d’enfant préjudice ou d’enfant fardeau, de la question
du clonage thérapeutique et de son évidente répercussion
sur la banalisation de l’avortement, nous baignons dans une suffusion
juridico-judiciaire. Les lois représentent-elles des tentatives de
réponses à un flottement de repères éthiques
? Que reste-t-il du monde mythique et des enseignements fondamentaux sur
lesquels les hommes ont étayé leur structuration ? Dans son
livre : L’univers, les dieux , les Hommes, Jean Pierre Vernant souhaite
réactiver en chacun de nous la survivance des mythes. Peut-on
déraciner les millénaires de liens que l’homme a tissé
entre les Dieux et son univers ? Faut-il produire des lois papiers ou faire
respecter les lois bons sens ? Du serment d’Hippocrate, aux principes
socratiques, en passant par primun non nocere, la pratique médicale
au quotidien nécessite-t-elle l’adjonction d’autres lois ? Le bon
sens peut-il être à géométrie techno-scientifique
?
Des mentalités
et des enjeux
Cette mutation engage
des changements dans les mentalités et dans les enjeux. Le lien social
se modifie et le médecin peut choisir de centraliser ces évolutions,
tant dans son rapport à la recherche, qu’avec la société
et auprès de ses patients. Le respect de sa place se définira
sur cet échiquier. Le médecin ne peut se démettre. Il
doit se préparer à une conversion et un élargissement
de son action sous peine d’être sollicité en vain et d’être
exclu. Cette poussée irréversible de la science et des
biotechnologies interpelle chaque médecin sur au moins deux aspects :
le sens et les effets. Le sens pour chacun : l’homme est autant producteur
de science que de désirs et de fantasmes, les uns interagissant sur
les autres. En n’evoquant que de notre culture occidentale, que reproduisons-nous
d’Icare à Narcisse, de Chronos enfantant Athéna et Dyonisos
à Apollon ? Quelle place est laissée au spirituel ou au religieux
? Les effets d’une emprise sur l’humain, voire d’une colonisation scientifique
de l’humanité, sont également au cœur du
débat.
La médecine
fait partie de cet écosystème dans son ensemble. Même
si l’intimité de nos cabinets feutre et semble tenir à distance
les vagues biotechnologiques, il est certain que se constitue une nouvelle
clinique, celle de la bioéthique.
Dr Isabelle Gautier
04/01 |