L’ordinateur hallucine New-Haven (Etat-Unis)
En matière d’informatique, les techniques d’intelligence artificielle font office de serpent de mer. Tout le monde en parle, mais personne n’en voit les applications qui sont toujours repoussées au lendemain . L’apparition des systèmes de reconnaissance vocale ou graphique est en train de changer discrètement cela, mais ceci n’a rien à voir avec notre propos... ou presque.
La reproduction de comportements intelligents par des programmes informatiques repose sur plusieurs approches, l’une d’entre elles consiste à faire fonctionner plusieurs microprocesseurs en parallèle, selon une architecture organisée et baptisée : "circuits neuronaux ou réseau de neurones". L’intérêt de ce type de traitement de l’information est de permettre une analyse globale et non plus séquentielle du problème et de laisser la machine "inventer" des solutions non programmées à l’avance.
R.E. Hoffman et T.H. McGlasham (Reduce corticocortical connectivity can induce speech perception pathology and hallucinated voices. Schizophrenia Bull 1998 ;30:137-41) ont utilisé cette méthode pour mettre au point un programme de perception du langage parlé. Le système est composé de 148 "neurones" répartis en trois modules : entrée, sortie et mémoire de travail. II possède un vocabulaire de 30 mots et a "appris" à les reconnaître au sein de phrases parlées, en appréciant le sens en fonction de son expérience passée. Là où l’essai devient très intéressant, c’est que les auteurs sont aussi psychiatres et qu’ils ont décidé d’infliger à leur système certaines transformations retrouvées sur les cerveaux de patients schizophrènes. Partant des hypothèses qui font de certains symptômes psychotiques le résultat d’une déconnexion de certains neurones du cortex préfrontal, ils ont déconnecté eux aussi certains "neurones" de leur système. En dessous de 50 % de déconnexion, le système se met alors à générer des mots en l’absence de stimulation d’entrée. Ce phénomène de "locked-in" s’apparente étrangement à des "hallucinations". Privée "d’input", la mémoire de travail se met à tourner avec son stock mnésique... Plus fort, si les auteurs appliquent un "blocage dopaminergique" au module de mémoire, les "symptômes positifs" régressent...
Cette publication est passionnante à plus d’un titre, même si
les retombées pratiques seront très certainement lointaines
et si les raccourcis épistémologiques sont légion.
D’abord elle montre les progrès effectués depuis quelques
années dans la compréhension des mécanismes cognitifs
de la perception. L’image de la lentille qui transmet passivement une image
inversée au cortex occipital est bien loin, et la perception
apparaît comme un phénomène complexe dont le traitement
commence dès l’acquisition. Les modélisations qui en ont
découlé sont de plus en plus performantes, ouvrant des voies
de recherches inexplorées.
Ensuite, elle renforce l’idée que l’on peut difficilement comprendre
un phénomène pathologique tant que l’on ne maîtrise pas
sa réalité physiologique ! Cette évidence, que de nombreux
chercheurs tendent à oublier, convaincus qu’il est plus noble de traiter
des maladies que de comprendre le fonctionnement de l’homme sain, mérite
d’être répétée...
Wile montre également qu’il est envisageable de mettre en place une
modélisation de symptômes psychiatriques opérationnelle.
L’informatique réussira-t-elle là où la biologie animale
a échoué ? II est certes prématuré de répondre
à cette question, mais les travaux sur l’intelligence artificielle
trouveront peut-être là une application inattendue.
Enfin, on est également frappé par la concordance des
théories évoquées et les récents travaux
publiés sur la physiologie du rêve, et notamment sur les
équilibres instables entre les systèmes noradrénergiques
et dopaminergiques d’une part et les voies cholinergiques d’autre part.
Rêve et délire ne seraient-ils que des faces différentes
d’un même phénomène ? Voilà des questions qui
reviennent dans l’actualité après avoir fait les beaux jours
des psychiatres "soixante-huitards" partisans de substances aujourd’hui illicites
et psychiatriquement incorrectes...
On peut conclure avec les auteurs que de nouvelles voies de recherche s’ouvrent en psychiatrie, et rappeler, comme ils le font, que le cerveau humain est avant tout une machine réflexive et fermée sur elle-même.
P.D. Mots-clés : Intelligence artificielle. Act Méd Int Psychiatrie 1998 ;214.
*Le titre de l’article est accrocheur mais laisse des éléments
opératoires dans l’ombre : quel est le fonctionnement dit dopaminergique
dans les ordinateurs en réseau ? Ne comprenant pas la manœuvre
avancée, l’essentiel de l’argumentation défaille, sauf à
croire l’auteur sur parole !
*Un autre point paraît une évidence que les théories
cognitives n’ont pas besoin d’expliciter : "Le rêve et le délire
seraient des faces du même phénomène". Il n’est qu’à
lire La gravida de Jansen (S. Freud) au début du siècle.
Les présentations analytiques de la parole comprises comme un langage
font que le délire reconstruit une néoréalité :
On comprend qu’il s’agit toujours du langage ; le modèle a simplement
changé de repère grammatical.
*Les arguments enfoncent des portes ouvertes : il faut examiner et
comprendre un sujet avant de traiter.
Il s’agit donc d’un article qui travaille un modèle théorique,
cherche à valider une hypothèse, et cela avec plusieurs
imperfections.
Ces commentaires ne sont pas exhaustifs et peuvent être critiqués.
Cela dépend un peu de l’orientation qu’on adopte dans cette pratique.
Bernard Robinet Psy-Franche-Comté 15/11/98
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