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REVUE DE PSYCHIATRIE

L’humiliation avant la perte

Vers une nouvelle théorie de la dépression ?

Maintenir l’estime de soi
lundi 8 septembre 2003.
 
L’étude menée par K. Kendler et al., dont l’article que nous rapportons se fait essentiellement l’écho, prétend découvrir avec des arguments épidémiologiques et une méthodologie empirique ce que les analystes avec leurs patients ont montré depuis quelques décades au cas par cas et ce que sociologues et philosophes pointent de manière récurrente de leur côté, mais en fondant les uns et les autres leur constats sur des explicitations "anthropologiques" qui font largement défaut dans ce type de travail. Que nous apprennent donc certains psychiatres sur la dépression ? Pas grand chose finalement, sinon qu’il faudrait considérer l’humiliation comme une cause majeure de dépression, et comme une entité objectivable de plus à lister.
Dans leurs travaux sur les racines de la dépression, les psychiatres se sont longtemps centrés sur l’expérience de la perte, la perte d’un être cher, d’une relation, où les sentiments plus primaires de perte peuvent être ramenés à la perte du sein maternel.
En 1917, Freud commença à chercher les racines de la dépression dans un essai remarqué : « Deuil et mélancolie » qui distinguait la réaction normale lors de la perte d’un être cher et la maladie dans laquelle la colère contre la personne aimée est retournée contre le moi. Trente ans après, John Bowlby observa la douleur des enfants séparés de leur mère et développa sa théorie de l’attachement, qui tenait la perte de la relation mère-enfant pour la racine de la plupart des maladies mentales des adultes.
Actuellement les chercheurs se sont intéressés aux interactions mystérieuses entre la neurobiologie du cerveau et les expériences humaines puissantes qui peuvent le déséquilibrer. Dans une étude publiée dans Science en août 2003, les chercheurs Terrie Moffit et Avshalom Caspi ont identifié un gène qui, selon son état, peut rendre les gens spécifiquement vulnérables à la dépression quand un événement traumatique arrivera ou au contraire particulièrement résilients.
Pour Kenneth Kendler et al., les événements à l’origine des dépressions profondes ne sont pas simplement des pertes, mais des pertes qui ont un caractère humiliant, et qui atteignent l’estime de la personne. L’expérience classique de la perte - la mort d’un être cher de sa famille - est seulement une partie de l’évènement susceptible de mener à la dépression, selon l’étude très empirique publiée début août 2003 dans les Archives of General Psychiatry(*) par K. Kendler et al.
Peu d’études ont examiné précisément les événements déstabilisants qui peuvent être à l’origine d’une plongée dans la dépression. Kenneth Kendler et al. ont suivi 7322 jumeaux adultes et ont noté les problèmes majeurs rencontrés, par ces personnes comme la perte d’un être aimé, un ennui financier majeur, une pathologie ou une blessure grave, une perte d’emploi, des problèmes juridiques ou encore un divorce. La conclusion de leur étude met en question les théories psychiatriques reconnues : alors que l’expérience de la perte pousse la paire de jumeaux à un plus haut risque de dépression (environ dix fois le risque de celui qui n’a pas affronté l’expérience de la perte), l’expérience de l’humiliation s’est révélée au moins aussi importante. Les deux expériences ensemble étaient de loin celles qui étaient les plus dangereuses, augmentant le risque de dépression majeure par plus de vingt.
K. Kendler suggère que la dépression a des racines évolutionnistes : c’est un mécanisme de survie pour une personne dont le statut a chuté dramatiquement. La dépression supprime le désir de l’individu pour la nourriture, la compagnie, et d’autres besoins de base - sorte d’accommodation qui fait sens pour quelqu’un qui a un statut social au rabais.
Selon les auteurs la contribution essentielle de l’étude parue dans les Archives of General Psychiatry est que l’humiliation, et non la simple perte, est un évènement déclenchant. Le besoin de maintenir le respect de soi peut être plus important pour la personnalité que nous ne le croyions jusqu’à présent.

Administrateur 08/03


Barry E. Study looks at loss, its role in depression Finds humiliation triggers worst cases. Boston Globe 2003/13/8.
* Kendler K, et al. Arch Gen Psychiatry 2003 ;60:789-96.


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