LECTURES
SCHIZOPHRENIE
Un
regard clinique
Ce petit ouvrage aux allures
didactiques, republié plus de trente ans après sa première
édition, peut être lu comme un témoignage et un manifeste
de ce que la psychiatrie contemporaine, férue d'objectivation et de
chiffres, tend à occulter. Il n'est pas sans intérêt
de lire ce texte assez bref, - et très bien assisté par
l'introduction efficace de Pierre Delion -, où Roger Gentis, l'une
des figures majeures de la psychiatrie dite institutionnelle, nous trace
un portrait singulier de la schizophrénie, en se centrant
continûment sur la personne du patient schizophrène. Son propos,
avant-gardiste à l'époque, montrant les points d'appuis
théoriques et critiques qui allaient donner corps à la politique
de sectorisation mettant fin au paradigme asilaire, a le mérite
d'être relu, pour ne pas oublier que l'approche clinique du patient
schizophrène ne saurait, aujourd'hui, se réduire uniquement
au point de vue stérilisant des check-lists objectivantes
bénéficiant du bâillonnement de la réflexion
psychopathologique, s'appuyant sur une politique de
désinstitutionnalisation qui n'a pas les moyens de ses
prétentions.
Le patient schizophrène, requiert bien encore de nos jours toute la
perspicacité d'un regard clinique et d'une écoute en éveil,
toujours attentive à la créativité sous jacente au
symptôme et à ce qu'il indique de tentatives de solutions toujours
singulières pour sortir de la folie mortifère, de la
destructivité qui l'enserre. R. Gentis structure son propos en
quelques points clefs : l'angoisse schizophrénique et sa
détresse abyssale (que l'auteur revisite à la lumière
des concepts psychanalytiques) et le travail défensif que celui-ci
induit avec ses trouvailles et ses risques de confinement dans le bastion
de la chronicité délirante ; les différences entre
schizophrénie aiguë et chronique, la première étant
vectrice de transformations où l'angoisse et les défenses
s'affrontent dans une issue incertaine, la seconde résonnant avec
la chronicité proprement asilaire menaçant aussi bien les soignants
que le patient - « ce qui crée la chronicité, c'est
pourrait-on dire, une espèce de complicité entre le malade
et son milieu. Cette forme d'existence ne peut être comprise que comme
un mode de défense contre l'angoisse schizophrénique »;
la thérapeutique avec une prise en charge devant commencer avant
l'éclosion de la maladie (thème très contemporain),
axée surtout sur la psychothérapie et le travail du groupe
soignant, situant le transfert au centre du dispositif et
reconnaîssant l'importance que revêt l'environnement du patient,
en dehors desquels le travail auprès de tels patients est rapidement
réduit à néant. Rien de plus suspect pour R. Gentis
qu'un schizophrène « stabilisé », alors
que le patient, comme ceux qui en ont la charge, doivent être
continuellement mobilisés pour ne pas lui permettre de se colletiner
« une existence au rabais ». D'où l'exigence d'un
accompagnement au long terme, dans ce que R. Gentis appelle, sur un mode
qui semble suranné, la post-cure, notion préfigurant notre
« continuité des soins ». Un petit livre bien
appréciable, aux airs de mise au point pertinente en ces temps de
« crise ».
Lydie Fraisse
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Les
schizophrènes. Roger Gentis. Erès, 0ctobre 2002. 125 pages.
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