MEDIAS
Société
Noirs américains
et postmodernité
Les noirs américains
avaient typiquement un taux de suicide inférieur à celui des
autres groupes ethniques. Les vingt dernières années
témoignent d'un changement dans cette situation, surtout en ce qui
concerne les jeunes noirs américains âgés de quinze à
dix-neuf ans (National Center for Injury Prevention and Control, Mortality
Statistics, 1998, Atlanta, GA). Actuellement, ces adolescents de sexe
masculin sont tout aussi candidats au suicide que leurs pairs blancs. Les
recherches menées sur ce phénomène sont restées
en grande part inabouties et les diverses interventions pour prendre en charge
ce problème sont restées sans effet.
L.A. Willis et al.,
se sont principalement appuyés sur l'ouvrage classique de Durkheim
sur le suicide et sur les théories sociales postmodernes pour fournir
une explicitation sociogénétique de l'augmentation du taux
de suicide dans cette frange de la population américaine. La
postmodernité est décrite selon quatre traits constituants
essentiels, du point de vue des auteurs : la démantèlement
des institutions, la diminution de l'esprit de collectivité, la perte
de normativité et de solidarité, l'accroissement des risques
individuels de stress.
LA Willis et al.,
de supposer que la postmodernité fragilise typiquement les liens entre
individu et société, et donc accroît la
vulnérabilité à la dépression, à des
pathologies connexes (toxicomanies) et au suicide. Les noirs américains
seraient plus vulnérables parce qu'ils sont concentrés dans
des zones plus pauvres, de faible développement, avec des institutions
que la postmodernité a rendues déliquescentes et qui n'assurent
plus leur fonction usuelle d'étayage social contenant (famille, religions
, communautés) et protégeant l'individu de facteurs de risques
sociaux. La principale raison à l'origine de l'augmentation du taux
de suicide dans cette population est donc rapportée à
l'impossibilité des institutions d' offrir un cadre protecteur à
la souffrance psychologique.
La critique dressée par les auteurs sur la fragilisation du lien social
avec ses conséquences néfastes pour l'individu, à partir
du référent " postmodernité ", n'est pas sans évoquer
dans leurs grandes lignes celles de Marx ou des théoriciens de
l'école de Francfort à partir de prémisses théoriques
différentes.
La question qui se pose est de savoir si le référent postmoderne
n'est pas, d'une certaine manière, un artéfact théorique,
permettant de faire l'économie d'une remise en question, de la question
politique. Au fond, et c'est ce que l'on a souvent reproché à
la pensée étiquetée postmoderne, ce type de discours
n'est-il pas pris dans la double contrainte de la dénonciation et
de la résignation, ne permettant pas de penser un dégagement
possible de ce qui s'énonce finalement comme une évidence
indépassable de notre temps
Lydie
Fraisse
Octobre
2002
Willis LA, Coombs
DW, Cockerham WC, Frison SL. LesReady to die : a postmodern interpretation
of the increase of African-American adolescent male suicide.
Soc Sci Med 2002;55:907-20.
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