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REVUE DE PSYCHIATRIE

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Névrodermites de l'enfant : l'âme à fleur de peau

Du tic de frottement traduisant l'anxiété à l'acte compulsif obsessionnel, le diagnostic dermatologique permet précocement de révéler un trouble de la personnalité.

A partir de trois observations, du plus banal au plus rare, on discute le rôle conjoint que doivent jouer le médecin et le pédo-psychiatre. Le psychisme et la peau entretiennent des liens privilégiés. La peau est un organe sensoriel à plus d'un titre. Enveloppe protectrice contre les agressions extérieures, elle dévoile, voire trahit des sentiments ou des émotions. " Le massage devient message " d'Anzieu, psychanalyste français, qui a beaucoup travaillé sur la peau en tant qu'enveloppe protectrice, pourrait s'adapter à trois observations dermatologiques qui sont secondaires à la friction : l'onychodigitophagie, la trichotillomanie, la pachydermodactylie. L'expression dermatologique des troubles psychiatriques est variée. En effet, la peau, par sa représentation, son innervation, son hypervascularisation est un organe privilégié de la vie de relation. C'est un véritable miroir de l'expression des émotions du sujet : ainsi la piloérection et l'hypersudation traduisent une sensation de peur tandis qu'une rougeur faciale subite, résultat de l'hypervascularisation cutanée, traduit un sentiment de honte. Cet "organe", le plus grand de tout notre corps est facilement accessible aux manipulations du sujet. Dans la grande majorité des cas, les lésions cutanées que l'on rencontre dans les différentes pathologies psychiatriques sont d'abord vues par un médecin généraliste ou un dermatologue. C'est à eux qu'incombe, le plus souvent, la difficile et longue tâche qui consiste à faire prendre conscience au patient de l'origine psychologique de ses lésions cutanées. La séméiologie dermatologique permet d'analyser plus finement le "mal intérieur" qui ronge le patient. On peut considérer ces trois observations comme une sorte d'échelle de gradation d'intensité du trouble psychologique : - l'onychodigitophagie : névrodermite avouée - la trichotillomanie : névrodermite inavouée - la pachydermodactylie : névrodermite inavouée et d'entité discutée.

L'onychodigitophagie est une pathomimie cutanée dite " légère " car entièrement provoquée dans un état de conscience reconnue par le patient. Elle sous-entend un trouble de la personnalité avec une dépendance ou une carence affective intense mais parfois aussi une anxiété ,voire une dépression masquée. Elle est plutôt fréquente chez l'adolescent et sera d'autant plus inquiétante qu'elle persiste et s'aggrave avec l'âge. La prise en charge sera fonction des caractéristiques de la personnalité. Une simple prise en charge sous forme d'entretiens dans le cadre d'un véritable soutien peut suffir. Dans d'autres cas, l'indication d'une thérapie brève de type cognitivo-comportementale se justifie afin de réduire et maîtriser le comportement problème. Une psychothérapie de type analytique peut être envisagée lorsque le patient en fait la demande pour essayer d'approcher la raison, "l'étiologie" de ce comportement. Enfin, le recours à une chimiothérapie anxiolytique ou antidépressive est souvent nécessaire au début de la prise en charge et surtout lorsque le comportement parasite retentit sur l'humeur avec apparition d'une symptomatologie dépressive.

La trichotillomanie qui consiste en l'arrachage de ses propres cheveux ou autres poils est surtout retrouvée chez l'enfant (dés l'âge de 18 mois). Elle prédomine nettement dans le sexe féminin. Ce trouble est d'autant plus inquiétant s'il persiste au cours du temps car il a tendance à s'aggraver avec l'âge. Le patient, les parents reconnaissent facilement ce comportement problème. Aucune organisation particulière de la personnalité ne se rattache à cette pathologie même si certains y voient des traits de caractère sadique et masochiste, tandis que d'autres l'intègrent dans une conduite d'auto-érotisme (comme la succion du pouce). L'évolution du trouble est plus grave quand il s'intègre dans le cadre d'un trouble obsessionnel compulsif (T.O.C ) ou plus globalement quand il apparaît sur une structure de type psychotique. Heureusement, dans la grande majorité des cas, la trichotillomanie reste un tic ou geste quasi automatique qui disparaît rapidement avec l'âge. Le diagnostic différentiel d'avec la pelade se fait par l'analyse fine des cheveux ainsi que de la bordure alopéciante.

La pachydermodactylie est beaucoup plus rare; elle débute dans l'adolescence et survient surtout chez le garçon. Elle correspond à un épaississement fibromateux très dense des phalanges secondaire à la friction-élongation. Une prédisposition génétique portant sur une anomalie du collagène se discute nosologiquement avec la maladie de Dupuytren. Le frottement compulsif peut faire l'objet d'une prise en charge psychothérapique, mais la pachydermodactylie est plutôt l'expression d'un "mal être" transitoire. Elle doit être essentiellement différenciée de la pachydermopériostose. La différenciation des deux entités est indispensable pour éviter les actes chirurgicaux de réductions ou les infiltrations de corticoïdes inutiles et dangereuses dans le cas de la pachydermodactylie.

A une période de l'existence où l'enfant connaît d'importantes modifications corporelles et psychiques, la compulsion mécanogène est vécue par le sujet comme une forme d'échappatoire face aux interrogations, aux problèmes relationnels et aux difficultés de gestion de l'anxiété quotidienne qu'il rencontre. Même si ces trois observations ne sont pas pour autant révélatrices d'un désordre psychologique majeur, elles doivent être un signe d'alarme. Le simple dialogue avec son patient peut suffire dans un premier temps pour permettre la prise de conscience du comportement problème et obtenir sa résolution. Mais, il faut tout de même rester vigilant par rapport au risque d'apparition de traits de caractère anormaux à cet âge où tous les éléments de personnalité se mettent en place et se structurent. C'est dans cette perspective que l'expression dermatologique du "mal être" prend tout son intérêt et que les différents praticiens amenés à soigner ce type de lésions chez l'enfant doivent pouvoir, lorsque cela s'avère nécessaire, orienter le patient vers une prise en charge spécialisée en pédo-psychiatrie.

Dr Hugues Cartier

DOUZIEME JOURNEE ARRAGEOISE D'ACTUALITE MEDICO-CHIRURGICALE SAMEDI 31 JANVIER 1998 - Archives INTERMEDIC - APICEM - 26 Février 1998

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