LECTURES
MYTHOLOGIE |
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Le complexe de
Médée ? Quand une mère prive le père de
ses enfants. Alain Depaulis. |
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MYTHOLOGIE
Médée
revisitée
La figure mythologique
de Médée, en proie à une censure séculaire, n'avait
pas donné lieu à une oeuvre orientée par une certaine
systématisation. C'est chose faite avec le dernier livre
d'Alain Depaulis, psychanalyste de l'Ecole freudienne, qui repère
cette figure princeps dans les registres divers de la criminologie, de la
clinique infantile et des affaires familiales. Il y est à chaque fois
question d'une femme, abandonnée par son mari, réduisant ses
enfants à un objet de vengeance « dans le désir
inconscient de châtrer » le père, « en lui
retirant l'objet de son désir, motif de sa fierté. Cela en
écho à sa propre castration inassumée, c'est-à-dire
l'impossibilité de s'assumer comme femme ». En toile de
fond destinale de ces histoires, le meurtre réel, imaginaire ou symbolique
de l'enfant, qui, tel chez Euripide ne nommant jamais les enfants de
Médée, n'est pas pour la mère un sujet à part
entière mais un simple objet de jouissance. Après avoir mis
en relief les différentes versions du mythe de Médée,
celle d'Ovide, d'Euripide, de La Peruse, de Sénèque, de
Corneille mais aussi de Pasolini et de Jean Anouilh, il montre la
série de transformations opérées sur la version d'Euripide,
pour le compte de la censure, à chacune des époques.
A. Depaulis, après cette exposition des versions littéraires
du mythe, nous offre plusieurs vignettes cliniques illustrant la thématique
de l'infanticide, peu importe qu'il soit « réel ».
Enfin, il conceptualise par le biais de la théorisation lacanienne
ce qu'il appelle le complexe médéïque, montrant comment
ce dernier questionne la féminité et les difficultés
de passage au maternel, en relation avec la problématique de la castration
d'un côté, et celle du rapport à la Chose, das Ding,
de l'autre. Féminité interrogée également au
niveau des coordonnées paternelles et maternelles, où l'importance
d'un manque d'assise identificatoire du sujet fille par rapport au legs maternel
joue un rôle majeur fragilisant le narcissisme du sujet et le poussant
à chercher, selon l'expression de Daniel Lagache, une
« complémentarité symétrique » dans
l'époux placé dans une position de garant d'une identité
enfin (re)trouvée. L'élu sera donc investi comme celui qui,
substitut d'un père ambivalent, va pouvoir soutenir l'identification
féminine du sujet. Et lorsque l'homme s'en va, la haine va se
libérer, emportant tout sur son passage : père, enfant, mais
aussi forcément le propre père du sujet, révélant
le « ravage » du face-à-face mère-fille.
Un bel ouvrage.
Lydie Fraisse
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Le complexe de
Médée ? Quand une mère prive le père de
ses enfants. Alain Depaulis. De Boeck Université, 2002.
177 pages.
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